Extrait de l’article de Yann Gourvennec – Visionary Marketing – Octobre 2024
Olivier Cimelière enjoint les entreprises à arrêter les « coups de com’ » dans leur communication interne, à retrouver l’authenticité, à mobiliser leurs employés pour aller de l’avant ensemble, et à sortir du contrôle systématique et permanent. Un ensemble de bonnes pratiques et conseils de bon sens, distillés par Olivier avec son habituel franc-parler. Des conseils que les lecteurs retrouveront dans son dernier livre, ENTREPRISES : ET SI VOUS ARRÊTIEZ LE COUP DE COM’ ? paru chez Eyrolles en 2024.
Qu’entends-tu par « coups de com’ »?
OC. Le coup de com, c’est l’obsession de faire le buzz, la une des médias, de tirer la couverture à soi, d’être visible partout et tout le temps. Au départ, c’était l’obsession des politiques, ça l’est toujours d’ailleurs, mais les entreprises s’inscrivent de plus en plus dans cette démarche. Et je trouve cela dommage. Cela fait perdre en profondeur et en perspective en matière de communication.
Le coup de com, c’est l’obsession de faire le buzz, la une des médias, de tirer la couverture à soi, d’être visible partout et tout le temps.
La communication interne peut-elle encore réenchanter l’entreprise ?
OC. Oui, je le pense. Malgré les programmes de bien-être, de bienveillance, d’inclusion des collaborateurs, les entreprises ont droit à la démission silencieuse.
Certains employés rentrent dans la routine et ne vont pas au-delà. D’autres font des burn-outs, d’autres encore sont victimes de harcèlement moral, ou pire. Ces phénomènes ne refluent pas.
L’entreprise a donc besoin d’être réenchantée qu’on lui retrouve du sens.
À cela s’est ajouté le télétravail, qui dilue les liens sociaux, avec une moindre présence au bureau et un temps accru derrière l’écran.
Cela interroge sur la place de la culture d’entreprise, de l’adhésion, de la fidélité et de la loyauté à son employeur, alors que finalement on se rend de moins en moins souvent dans ses locaux.
N’y a-t-il pas une perte de profondeur dans les contenus ?
OC. Les médias chauds, sur lequel on peut publier permanence, nous inscrivent dans le temps réel ou quasi-temps réel. Cela nous fait perdre le recul qu’on avait avec le journal d’entreprise.
Avec celui-ci, on pouvait faire de longs reportages plus détaillés, revenir sur des événements, des projets qui avaient été lancés. Il y avait vraiment une temporalité différente.
Avec le digital, il est très dur de faire des formats longs. Certains médias savent très bien le faire, comme le New York Times ou Le Monde. Mais cela demande d’énormes moyens et une équipe spécialisée.
De plus, la communication interne a été beaucoup influencée par le marketing. En conséquence, on lance des campagnes, des concours, et on finit par en perdre de vue l’essentiel.
Raconte-nous ton expérience sur le journal Nestlé Waters de 1997 à 2007
OC. C’est une de mes plus belles aventures professionnelles. J’en étais un des contributeurs, pas le seul créateur. Nous l’avons lancé alors que Nestlé Waters se développait à une vitesse éclair dans le monde entier.
Il y avait vraiment la nécessité d’activer les choses pour bâtir une culture interne qui puisse rassembler une communauté, malgré les différences d’approches dans tous les pays.
C’était une revue économique, du type des Enjeux les Échos ou de Capital.
Je suis un ancien journaliste, j’ai donc voulu penser la revue comme s’il s’agissait d’un magazine qu’on achète dans les kiosques, avec des reportages longs.
À chaque numéro, on couvrait deux marchés, ce qui nous a valu à moi et à mon équipe de beaux voyages, puisque Nestlé Waters est présent sur tout le globe.
On y décortiquait vraiment les modes de consommation, les circuits de distribution, on mettait en valeur bien évidemment aussi les équipes. On y expliquait ce que faisait la concurrence. Ce n’était pas une petite victoire, car mon président de l’époque ne voulait pas qu’on en parle.
Je lui ai dit : « Je ne comprends pas, toute la journée on ne fait que parler d’elle dans nos réunions, et on l’observe en permanence. Pourquoi dans le journal, n’existerait-elle pas ? » Avec neutralité et bienveillance, bien entendu.
Ce journal, au début, on a eu un peu de mal à le faire vivre, car certaines filiales n’avaient pas de pratique de la communication interne. D’autres étaient un peu méfiantes parce que ce contenu venait du siège.
Et comme nous avions trouvé une tonalité originale, le succès est venu assez rapidement.
Certains chefs de marché m’écrivaient pour me dire : « Ah ! Mais on a fait ça il y a trois mois, il faudrait que tu viennes, ça doit faire la une ! »
Finalement, nous n’avions plus besoin de chercher des sujets, les propositions affluaient et les managers aimaient ce « canard », qui a fini par basculer au 100 % anglais.
Puis, malheureusement, un nouveau PDG est arrivé et on est passés au tout digital. Et le journal a très vite cessé de paraître.
Pourtant, le passage au numérique ne dégage pas toujours les économies escomptées. Si on veut un intranet digne de ce nom, il faut de la production vidéo, du contenu écrit, du graphisme, etc. Et si l’on additionne tous ces coûts, la facture peut parfois être bien supérieure à celle d’un journal imprimé.
[…]
Tu évoques la porosité entre la communication interne et externe
OC. Il faut donner envie aux candidats de considérer certains secteurs d’activité, certaines entreprises qui n’étaient pas forcément dans le radar de ces chercheurs d’emplois.
Sauf que beaucoup d’entreprises plaquent avant tout des fantasmes sur la marque employeur. Au détriment de l’authenticité.
Cela produit des campagnes marketing très professionnelles, qui n’ont rien à envier aux publicités classiques. Le problème, c’est qu’elles sont complètement décorrélées de la réalité de l’entreprise. Quand les salariés les voient, ils ne reconnaissent pas leur quotidien, leur vécu, leur expérience,
Une vraie bonne communication externe doit être complètement raccord avec l’interne.
Prenons Amazon, qui s’est associée au mouvement Black Lives Matter en se plaignant de l’injustice vécue par les noirs. Sauf que l’on s’aperçoit dans le rapport annuel d’Amazon, que les moins bien choyés dans l’entreprise, sont précisément les populations afro-africaines dont les postes sont les moins bien payés et les plus durs, dans les entrepôts et la logistique.
C’est bien de s’associer à des causes, c’est encore mieux de s’appliquer à soi-même les principes qu’on défend.
Il y a 15 ans, SG ou Arcelor faisaient témoigner les employés ouvertement. Est-ce encore envisageable aujourd’hui ?
OC. C’est de moins en moins facile à faire. La peur est là, on veut tout cadrer, avec les fameux « éléments de langage ».
C’est très dommage. Il y a énormément de salariés qui sont réellement motivés et qui ont envie de s’exprimer positivement sur l’entreprise avec leurs propres mots. Pourquoi ne pas s’appuyer là-dessus ?
Il ya quelques années, je pensais réellement qu’on se dirigeait, avec les réseaux sociaux, vers une libéralisation de la parole. En fait, non, la tendance s’est inversée, et le contrôle absolu est revenu. Pourtant, personne n’est dupe.
C’est dommage, mais j’ose espérer que davantage d’entreprises vont demander à leurs employés de communiquer, autrement qu’avec l’« employee advocacy » sur les réseaux sociaux.
Il faut éviter de demander à des armées de clones de répéter la même chose. Ça n’a aucun intérêt.
Par contre, si on embarque des salariés, si on les laisse libres de s’exprimer sur des thèmes en rapport avec le métier de l’entreprise, je peux garantir que ça donne une autre coloration à l’image de l’entreprise.
Ceci, tout en édictant quelques règles pour éviter les dérapages.
Ainsi, l’entreprise ne sera plus seulement incarnée par les dirigeants, mais aussi par ses salariés. À l’heure de la marque employeur, cela devient un sacré atout.
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